Notes – 2011

Exposition à la Diagonale
Rome

A propos de mon process (ou processus) de travail.

Dans mon travail j’élabore des séries. Je conçois chaque ensemble de travail comme une série.

Lorsqu’il s’agit de tableaux, je décide du nombre de pièces qui constituera l’ensemble, ainsi que leur format.

Je prépare moi-même les support, tends les toiles sur châssis et les encolle, les toiles que je choisi sont particulièrement fines, avec une trame très légère, car je souhaite que la peinture n’accroche pas mais glisse sur le support, comme un écran.

Puis, j’interviens sur le support posé au sol, en jetant de la peinture à l’huile, préparée au préalable dans des pots. Avec la peinture-couleur ainsi jetée, je mets à distance le geste peint, la couleur arrive sur le support sans que ma main l’ai posé, au sens où ma main n’a pas de contact avec la toile à ce premier moment, ce ne sont pas des touches de peinture, je peux jeter autant de couleur que je le souhaite, par gouttes, indépendamment de la réserve maximale de peinture que peut contenir un pinceau.

Puis, au moyen d’un pinceau très large (pinceau de bricolage d’environ 20cm de large), j’étire la couleur. Par cet étirement j’affirme alors un geste peint et je rassemble, uni, réuni chaque endroit où la couleur s’est posée, une réunification pour percevoir et dire la totalité du plan du tableau.

C’est cette totalité qui m’importe, cette totalité qui interroge le all over et la tentation du monochrome.

J’ai cette tentation du monochrome où la couleur seule s’affirme.

Pour que la couleur soit, elle est auparavant faite de plusieurs qui assemblées et mêlées ne deviennent plus qu’une. C’est ainsi que je considère la couleur quand je la décide sur le plan du tableau. Les couleurs sont plusieurs mais elles tendent, en étend ainsi rassemblées en un geste circulaire et répété, vers une couleur seule que je sais multiple. (Je tente de la considérer comme seule, parfois non nommable tellement elle est multiple et donc complexe).

Je n’ai pas une réflexion sur la couleur selon un parcours théorique. La couleur est pour moi essentielle, je l’avance, l’étudie, je la joue par pure plaisir, rencontre et intuition. Elle n’a pour moi de réalité que lorsqu’elle est éprouvée sur un support.

A force d’intervention (une couleur jetée puis un étirement de la matière), chacune des strates de peinture constitue un fond constitutif du tableau et est constamment remis en question par le passage coloré suivant. Chaque strate est constitutive, elle est une affirmation de la couleur que j’ai décidé avant de la poser. Chacune des couleurs, successives, ainsi superposées et étirées, s’affirme et se modifie. Il s’agit d’assemblage de couleur unifié par un geste.

Les couleurs, petit à petit modifiées, induisent des vibrations, deviennent dessous et imposent l’approche d’une profondeur.

C’est alors une alternance entre la planéité de la surface redite par les passages successifs et l’apparition – affirmation de la profondeur, qui laisse incertain le regardeur.

M’importe cette relation ambiguë entre plan et profondeur mais, au lieu d’être antithétique, je crois y trouver un accord.

Le geste est pour moi l’affirmation du geste peint, il ne peut être signe et se distingue donc du signe.

Si je donnais une importance particulière à un endroit du tableau, sans doute pourrait apparaître un quelque chose de l’ordre du signe. Mais, mon intention et mon envie sont trop fortes pour ne pas tendre au all over. J’ai cette nécessité de considérer chaque endroit du tableau avec la même intensité, afin que le regard circule et ne s’arrête pas, afin que le regard ne cesse de se déplacer. Le geste que je décide est fluide et ciculaire, je l’apparente à un corps en mouvement, léger qui n’éprouverait pas la pesanteur, l’effet d’apesanteur.

J’affirme et parfois sur-affirme mon geste (surtout dans les derniers tableaux) après le jet et la dispersion des couleurs (quand je suis debout, au-dessus du plan horizontal posé au sol et que je jette les couleurs préparées très liquide, une à une depuis le bol, sur un pinceau et «  drippées » (de dripping)). Ces gestes sont autant d’inscriptions qui de manière continue se lient.

Puis je redresse le support et et je discute avec ce qui m’est donné à voir !

Parfois d’autre étapes-strates s’impose, jusqu’à ce que le tableau s’affirme.

Pour les dessins, la quantité de support (le nombre de dessins) n’est pas décidée par avance mais les formats seront toujours identiques pour un même série.

Contrairement au tableau où j’emploi toujours les mêmes médiums et outils (peinture à l’huile, white spirit pour forcer la matité qui fait écran, un pinceau de taille moyenne pour les mélanges et un autre très large pour réunir), sur papiers je ne cesse de multiplier les outils afin que se joue à nouveau ce principe de superposition et là encore du « tout partout » avec la même intensité, l’idée du all over reste omniprésente ;

Une série est bouclée à partir du moment où je pense ma règle du jeu totalement maîtrisée. Si je la trouve totalement maîtrisée je risque la répétition et les risques pris sont amoindris, il en va de même pour le jeu.

Alors je décide d’une nouvelle série et je tente un complet recommencement. Je me donne à croire que je ne sais plus et là s’impose à moi un nouveau jeu où finalement très vite tout ce que je met en place se lie avec la série qui précède et les questions restent les mêmes.

Les questions que je me pose n’attendent pas véritablement de réponses, elles restent ouvertes, elles sont le cadre que je donne à mes expériences.

Je pense à l’art abstrait américain des années 60 : à Franck Stella, Mark Rothko, Brice Marden, Kenneth Noland, mais aussi à

Imi knobel (du point de vue d’un enchevêtrement formel),

Martin Barré (et ses constructions si sensibles et formelles) et

Manet pour des raisons qui semblent contraires ( !) (La véritable jouissance de la touche sensible et sensuelle de la peinture) et

(Les espace où alternent planéité et profondeur) chez Giotto.

Je numérote me tableaux un à un selon leur ordre de fabrication « Tableau n° », ainsi, le titre ne fait qu’affirmer le tableau pour ce qu’il est, il n’a pas d’autre fonction que de pouvoir être distingué d’un autre. Cela n’engage aucune interprétation.

Les dessins à l’inverse, je les nomme, par série et par numéro, les titres sont en comparaison quasiment lyriques. Le titre était d’abord assez descriptif (assemblage verticale de 2 carrés) et est devenu plus, j’ose dire, poétique et amusé, car la part de jeu est encore là, (lignes torves, herbes over, bombes over…).

Donc je ne travaille pas dans la direction de thèmes.

Je travaille mon travail qui se trame, questionne, s’affirme, s’économise, se charge, s’éclaircie, se pose….interroge

Le projet que je veux développer dans l’Exposition à la Diagonale ?

Une présentation au plus près de mes propositions-interrogations au moyen d’un accrochage rigoureux, afin que les travaux dans leur relation entre eux instaure et impose une tension, du côté de ce qui est tendu, tenu et affirmé.

Mon travail accroché en les 4 espaces distincts de la galerie aura l’objectif de donner à percevoir le lien, la ligne commune à cet ensemble, encore une fois, fait de plusieurs, comme il en est de la construction de chacun des travaux fait d’interventions plurielles.

Marine Duboscq.